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Au premier chapitre de son livre intitulé « L’Idée impériale » l’archiduc Otto de Habsbourg-Lorraine écrit ;
« Lorsqu’on prononce le nom d’empire, il est fréquent de se trouver en butte aux malentendus et aux attaques partisanes. Trop de gens, en effet, fondent leurs réflexions sur un usage impropre et abusif des concepts. C’est ainsi qu’en dépit de leur dénomination ni l’édifice politique de Bismarck, ni la République de Weimar, ni même le régime de terreur instauré par Hitler ne furent des empires mais tout au contraire des Etats nationaux. Dans notre tradition, l’empire n’a pas de souveraineté nationale, pas plus qu’il ne peut se réduire à une seule et unique nation ; car sa mission consiste précisément à faire le lien entre différents peuples et Etats. Il se fonde donc sur un droit supranational alors que les Etats territoriaux modernes se fondent sur un droit national »
Depuis que Charlemagne, un Germain de la race des Francs largement romanisés, a restauré l’empire (romain) d’occident, l’idée impériale romaine a été poursuivie par un autre Germain mais de la race des Saxons qui n’avaient pas été romanisés, Otton Ier le Grand, avec le Saint empire romain germanique.
Pourquoi l’adjonction du qualificatif germanique ?
L’archiduc Otto de Habsbourg poursuit :
« ..Les Germains furent fascinés par la puissance de Rome qui s’étendait alors sur la totalité du monde connu de ces barbares, par des Césars au passé militaire prestigieux, par son génie organisateur et par la grandeur de son édifice juridique. L’apport des Germains, lui, consista en la transmission d’un patrimoine culturel dont l’influence se fait aujourdhui encore sentir dans le fédéralisme et le personnalisme.
Convertir son empire au christianisme et, pour finir, se convertir soi-même ne permit pas à Constantin 1er le Grand d’empêcher la décadence romaine ; grâce à lui, toutefois, cent à deux cents ans plus tard, l’Eglise et le pape purent recueillir l’héritage romain. Si le véritable gardien de la tradition impériale romaine fut le royaume des Francs (Frankreich), tandis que la Rome d’Orient, ou Byzance pour les Occidentaux, ainsi que les Etats germaniques adeptes d’un christianisme arien virent leur importance diminuer, cela tient à la fois à l’opiniâtreté de sa politique autoritaire et au choix fait par l’évêque de Rome ; en effet, le roi mérovingien Clovis, qui, à la fin du Vème siècle, fit l’unité des Francs entre la Somme et la Loire, ne se convertit pas à l’arianisme comme il était alors de mode, mais au catholicisme. Ce faisant il cristallisa autour de sa personne tous les espoirs des sujets catholiques qu’opprimaient des princes germaniques convertis à l’arianisme……………………
Ainsi en adoptant une position supranationale, le souverain mérovingien attira sans son royaume de nouvelles énergies. Théodoric le Grand, son rival ostrogoth pourtant bien plus doué que lui, échoua dans sa tentative précoce de rénovation de l’Empire romain…………
Le royaume des Francs devint alors non seulement la « fille ainée de l’Eglise » mais aussi, sous les Carolingiens qui succédèrent aux Mérovingiens, le gardien définitif de l’idée impériale remodelée par le christianisme………………………………………….
On commettrait une grave erreur en excluant que l’idée impériale puisse recevoir un autre fondement que chrétien……………………………………………………………..
Depuis Pépin le Bref, le père de Charlemagne, le souverain ne descend plus des dieux mais il est dit de « droit divin » ; le droit héréditaire a fait place à un lien purement transcendantal. Contrairement à ce qu’on entend souvent dire, la grâce divine n’implique pas que celui qui en bénéficie soit meilleur homme que les autres ou qu’il soit au-dessus des lois ; simplement, le pouvoir qu’il détient lui a été conféré par Dieu ce qui l’oblige à se soumettre à la loi divine. Cette loi n’émane pas de lui, il n’est en effet que l’arbiter, une sorte de juge suprême qui est comptable de ses actes devant le Créateur. Cette fonction d’administrateur de l’empire, il l’a reçue par voie de succession ou par une élection placée sous l’invocation du Saint-Esprit, ou encore d’une autre manière. Et elle reçoit sa consécration suprême par le Couronnement et l’Onction.
L’Empire qui, depuis Charlemagne, est redevenu impérial, représente donc plutôt une valeur sacrée et il n’a de sens comme puissance rapportée à un territoire que lorsqu’il est associé à une, ou plutôt, à plusieurs couronnes royales…………………………………………..
Comme son père et son frère, Charlemagne reçut le titre de Patricius Romanorum…... couronné empereur en 800 à Rome et mort en 814 à Aix la Chapelle, il apparait comme l’ancêtre de tous les souverains européens, le premier grand empereur d’Occident, le restaurateur de l’Empire romain. Il imposa une tradition impériale qui devait se maintenir jusqu’en 1806.
Malheureusement par le traité de Verdun de 843, les trois petits-fils de Charlemagne, Lothaire, Charles et Louis partagèrent son empire en trois royaumes, la Francie Occidentale, future France, à l’Ouest à Charles dit le chauve, la Francia médiane au centre avec le royaume des Lombards ( et les territoires devenus français du Cambrésis, du Barrois, du Luxembourg, de la Lorraine, de l’Alsace, de la Franche-Comté, de l’Ain, du Forez, du Lyonnais, de la Savoie, du Dauphiné, du Valentinois, du Vivarais et de la Provence) à l’ainé Lothaire Ier, empereur, et la Francia Orientale, future Germanie, à Louis dit le germanique. En effet avant même l’extinction de la dynastie des Carolingiens en 924, la Francie Occidentale chercha à s’affranchir rapidement de la tutelle impériale. En effet si Othon le Grand, roi de Francie Orientale parvint à intégrer dans celui-ci tout la partie Nord du royaume de Francie Médiane-Lotharingie, à se faire couronner roi des Lombards (Italie du Nord) comme avant lui Charlemagne, puis à se faire couronner empereur à Rome en 962, il ne parvint pas à réintégrer le royaume de Francie Occidentale dans l’Empire. En revanche, dès 1032, ses successeurs réussirent à y intégrer le royaume de Bourgogne-Provence issu de la partie sud du royaume de Francie médiane-Lotharingie puis à adjoindre dès 1085 un quatrième royaume avec le royaume de Bohême.
En outre les rois de Francie Occidentale puis France n’eurent de cesse de grignoter dès l’absence d’empereur pendant le Grand Interrègne sans empereur de 1256 à 1273, après le grand règne de Frédéric II de Hohenstaufen, au profit de leur royaume les territoires au Sud issus de la partie Sud de l’ancien Royaume de Francie Médiane-Lotharingie relevant du royaume de Bourgogne Provence puis ceux intégrés au royaume de Germanie, issus de la partie nord du royaume de la Francie-Médiane-Lotharingie tout en tentant ensuite à plusieurs reprises de se faire élire empereur.
Toujours dans son livre l’idée impériale, Otto de Habsbourg écrit .
Au temps de Charlemagne, l’unification européenne était encore une vision d’avenir qui dépassait les possibilités de l’époque. Pourtant, il en existait alors un premier modèle et depuis, on ne peut plus faire abstraction de la présence dans notre histoire, d’une nostalgie supranationale.
D’Othon le Gand qui, à partir de 936, redressa l’Empire, jusqu’à notre siècle, l’idée impériale est restée pour l’Europe, et singulièrement l’Europe Centrale, une source essentielle de dynamisme. …………………….
Charlemagne (Charles Ier), Charles IV de Luxembourg et Charles V de Habsbourg (Charles Quint) sont probablement les aïeux des plus grands de l’Europe de demain. Charlemagne est le lien obligé entre d’une part, les Français qui, après les Carolingiens, se singularisèrent en empruntant la voie nationale, et d’autre part l’idée impériale d’une communauté supranationale. Charles IV de Luxembourg, roi de Bohême, ne se contenta pas de renouveler le sacrum imperium, il établit également un pont entre son Empire et l’Orient surtout en direction des Slaves. Quant à Charles Quint, il a soutenu l’idée d’un Orbis Europaeus Christianus qui n’eut pas de succès à son époque, mais depuis s’est imposée à tous les peuples d’Europe. Charles Quint était le point de rencontre de courants intellectuels multiples, allemands, italiens,franco-bourguignons, flamingo-bourguignons, ibériques ; de ce fait, lui et ses grands prédécesseurs sont bien plus modernes que les défenseurs des petits Etats nationalistes du XIXe et du XXe siècles.
Outre l’idèe de supranationalité, l’Empire, aujourdhui à terre, laisse un autre message au XXIe siècle, l’idée essentielle, du primat de la fonction judiciaire sur les pouvoirs exécutifs et législatifs. Car, indépendamment de la forme de notre Etat, nous qui vivons dans une société de masse manipulée par des technocrates, nous avons précisément besoin d’institutions indépendantes qui puissent protéger la substance de l’Etat et les hommes contre l’égoïsme de groupe ou contre l’arbitraire, qu’il soit politique ou privé.
Une objection des détracteurs de l’idée impériale est que celle-ci n’a aucun caractère européen du fait qu’elle n’a pénétré qu’une partie des peuples occidentaux ; outre les Slaves, les Français en particulier sont souvent restés à l’écart de l’ensemble impérial. De fait, la séparation de la Francia occidentalis et de la Francia orientalis entraina de graves conséquences comme l’affrontement des deux nations qui revendiquaient chacune, en vertu du droit d’aînesse, la qualité de peuple impérial. Plus tard, lorsqu’Albrecht Dürer représenta Charlemagne en figure modèle d’empereur, il peignit au-dessus de sa tête le lys français à côté de l’aigle impérial. Quand, au Xe siècle, les Français se rendirent temporairement maîtres d’Aix la Chapelle, ils firent pivoter l’aigle surmontant la tombe de Charlemagne de manière à ce qu’il regardât vers l’Ouest au lieu de l’Est. Mais dès qu’il eut chassé les troupes françaises de la ville du couronnement des rois allemands, l’empereur Othon II fit reprendre à l’aigle sa position initiale, c’est-à-dire la tête tournée vers l’Est. Cette lutte fratricide entre les deux Francia se traduisit également par la vaine prétention des Valois, puis des Bourbons à diriger l’Empire. Il en résulta des combats séculaires entre les maisons de France et d’Autriche qui, sans rapporter la couronne impériale aux Français, portèrent des coups mortels au Saint Empire et entravèrent pendant longtemps la réalisation de sa mission la plus importante, la lutte contre les conquérants étrangers à l’Europe.
Déjà Philippe le Bel, un. Capétien qui régna en France jusqu’en 1314, avait tenté de s’imposer comme « empereur » dans le royaume de France, c’est-à-dire d’accéder, dans un cadre national, à une dignité supranationale.
C’est de ce genre de tentative qu’est né le conflit opposant l’empereur Charles V à François Ier au XVIe siècle. Charles V vivait encore de l’universalité qu’il prêtait à la fonction d’’empereur et à l’Empire ; progressivement il étendit le concept d’empire à l’orbis christianus tout entier, à la totalité du monde chrétien. Comme celui-ci se compose de différentes nations et de différents peuples, l’Empire ne peut remplir sa mission universelle qu’en refusant fermement tout compromis avec les thèses étriquées du nationalisme. Cette entreprise fut la source des grandes difficultés auxquelles Charles V, par exemple, se trouva confronté. Son accession au trône coïncida précisément avec une époque marquée par l’esprit de la Renaissance qui coupa l’héritage classique de la tradition chrétienne. La nouvelle pensée païenne détruisit graduellement le contenu transcendantal de la conscience occidentale. La Renaissance laisse en effet paraitre les signes avant-coureurs du matérialisme dont le nationalisme et l’anarchie sont la conséquence logique. Avec le matérialisme, la force prime le droit, les différentes sortes de communauté humaines ne sont plus reconnues comme des phénomènes naturels et tout doit être centralisé ou unifié, ce qui justifie un Etat tout-puissant.
Si François Ier, roi très français de la maison de Valois, professe encore sa foi chrétienne, on relève déjà dans ses attitudes l’influence des nouveaux principes païens de la Renaissance. Nourri de la culture héritée des siècles passés, il est en même temps l’un des artisans de sa ruine. La Renaissance, le schisme, dont les confessions catholique et protestante portent la responsabilité, et enfin le surgissement d’antagonismes nationaux minèrent de l’intérieur l’ordre supranational en Occident. Il n’est pas étonnant dès lors que Bodin, le juriste philosophe des grands rois Bourbon, ait placé le principe de monarchie absolue sous le patronage des rois païens de Rome. Lorsque de surcroit, la Révolution française proclama le caractère absolu de la souveraineté nationale, un germe de totalitarisme fut introduit dans l’Etat, qui allait le ronger tel une tumeur cancéreuse, pour finalement détruire toute sa structure juridique. Car il n’y a qu’un pas de la proclamation du pouvoir absolu du souverain ou du peuple à la loi rétroactive…..
L’ Empire, pour les Français, ce fut un Etat autoritaire et centralisé, plus proche de l’Empire romain, au domaine de souveraineté bien délimité, que du sacrum imperium du Moyen Age, qui voulait être tout autre chose.
Pour assurer un équilibre entre la vieille Europe et les Etats Unis d’Amérique, la Russie ou la Chine aux visions impérialistes chaque jour accentuées, il est du devoir des Allemands et des Français d’aller au terme de leur réconciliation historique en promouvant l’idée impériale.
Il faut que l’Europe devienne un empire………
« On a dit à juste titre que tout empire s’est constitué comme organe d’une mission plus élevée. Il faut que l'Europe devienne un empire, sous quel nom que ce soit, car l’élargissement de marché qu’elle apporte ne saurait lui garantir à lui seul la durée. Si on cherche cette idée, on la trouvera dans l’histoire de l’Europe ; l’Europe fut grande chaque fois qu’elle fut un empire, mais elle commença à décliner dès que l’empire prit fin.
Notre intention n’est cependant pas de proposer ici un concept clos, elle est, au contraire d’offrir des éléments pour ce renouveau impérial de l’Europe dont nous avons tant besoin. L’esprit est seul en mesure de régénérer notre société ; pour préparer l’avenir, nous ne pouvons-nous contenter de politique partisane ou de technologie. Toutes deux ont leur importance, mais qui n’est pas décisive. Nous ne réaliserons des progrès qu’en nous fixant un grand but et en nous dévouant à lui avec optimisme et courage. »
Otto de Habsbourg-Lorraine (L’idée Impériale 1989)
ET POURQUOI CET EMPIRE NE SE DENOMMERAIT-IL PAS ?
EMPIRE ROMAIN EUROPEEN
ET NE POURRIONS PAS DIRE ?
CIVIS EUROPAEUS SUM