Avant de se permettre de commenter la reconquête des villes d’Alep en Syrie ou de Mossoul en Irak occupées par les Islamistes de Daech, bon nombre de journalistes et d’experts autoproclamés, feraient bien de se souvenir de certains faits historiques qui aident à comprendre les différents modes d’action militaire de reconquête d’une ville ou d’un quartier d’une grande ville occupée ou en situation insurrectionnelle.
Par exemple, il y a 75 ans , du 8 septembre 1941 jusqu’au 27 janvier 1944, Leningrad a subi un siège de près de 900 jours par la Wehrmacht au cours duquel a été mis en œuvre un plan famine pour exterminer sa population ,comparable à la tactique militaire des siégés longtemps appliquée au cours des siècles pour prendre un château ou une ville fortifiée.
Stalingrad surtout, a fait l’objet d’une conquête par l’armée allemande qui a duré du 17 juillet 1942 au 2 février 1943 constituant la première bataille urbaine de l'histoire et la première aussi à se dérouler principalement dans des sites industriels. Dans cet environnement, l’armée allemande perdait une partie de son avantage en termes de mobilité et de puissance de feu. L'usage de l'artillerie et de l'aviation se trouvait compliqué par la proximité et l'imbrication des lignes de front. Les multiples obstacles de l’environnement urbain ne laissaient que des lignes de vue très courtes, ce qui obligeait à engager les chars à proximité immédiate de leurs objectifs et les rendait très vulnérables aux armes antichars adverses, même les plus légères, camouflées dans les ruines ou utilisées depuis les toits. Cette bataille s’est déroulée aussi à la verticale, dans les étages et les sous-sols. Les caves restaient les seuls endroits non détruits par les bombardements massifs et répétés ; elles offraient un abri relatif où se reposer. Les égouts étaient le seul lieu où on pouvait se déplacer à l’abri des bombardements. Les Russes, qui en avaient la carte contrairement aux Allemands s’en servaient pour quitter les positions menacées ou mener des coups de main sur les arrières ennemis. Les Allemands appelaient cette guerre urbaine invisible Rattenkrieg (« guerre de rats ») Les défenseurs exploitaient au maximum les possibilités de l'environnement en reliant entre eux des centaines d'immeubles, murant leurs principaux accès et les transformant en forteresses avec mines, barbelés, meurtrières au ras du sol, postes d’observation d'artillerie dans les étages, canons et chars camouflés dans les ruines.
Staline ayant refusé de les laisser quitter la ville, 600 000 civils étaient encore présents à Stalingrad, et en une semaine 40 000 d'entre eux furent tués par les bombardements. Durant toute la bataille, la Luftwaffe a joué un rôle de premier plan totalisant 1 600 sorties et 1 000 t de bombes dans la seule journée du 23 aout 1942. Cette bataille de Stalingrad fut un défi logistique pour les deux adversaires tant pour le ravitaillement en munitions qu’en carburant sans compter le ravitaillement des troupes. La bataille de Stalingrad fut l'une des plus sanglantes et des plus coûteuses en vies humaines de toute l'histoire militaire. La Wehrmacht perdit 380 000 hommes, tués, blessés et prisonniers. Les Soviétiques eurent 487 000 tués et 629 000 blessés.
La reconquête de la ville par les Soviétiques jusqu'à la capitulation des troupes du maréchal Paulus, commandant de l'armée allemande, avec 95 000 soldats dura un peu plus de 2 mois (2 février 1943.)
Alors qu’il n’avait fallu que six semaines au Reich pour vaincre la France, l’armée allemande a pataugé à Stalingrad pendant neuf semaines sans réussir à emporter la décision.
C'est à Stalingrad qu'on a vu apparaître un nouveau type de combattant, le tireur embusqué (snipper) tireur d’élite qui vise discrètement ses victimes à grande distance et les tue ou les blesse assez gravement pour que ses camarades tentent de le secourir et donc s'exposent
La Seconde guerre de Tchétchénie qui opposa 80 000 soldats de l’armée russe aux indépendantistes d’octobre 1999 au 1er février 2000, jour de la prise de Grozny lui a permis 56 ans plus tard de mettre à profit les enseignements tirés à Stalingrad. Après une stratégie de bombardements intensifs et d'envoi de petits groupes d'infanteries spécialisés en combat urbain précédant les blindés, la capitale tchétchène tomba après un siège qui dura du 25 décembre 1999 au 6 février 2000. Transformée en forteresse, les séparatistes tchétchènes s'étant préparés à l'assaut russe, le siège et les combats ont dévasté la capitale tchétchène comme aucune autre ville européenne depuis la Seconde Guerre Mondiale
L’armée russe a donc acquis une grande expérience dans le combat urbain qu’elle a érigé en véritable doctrine qu’elle applique aujourdhui à Alep. En revanche l’Otan n’a jamais eu aucune doctrine militaire en matière de combat urbain susceptible d’être mise en œuvre pour la reprise de Mossoul par les Kurdes et les Irakiens qu’ils conseillent et encadrent. Semble-t-il, pour la bonne raison, qu’il n’y a pas d’autres moyens de défense ou de conquête d’une ville que ceux utilisés à Stalingrad mais aujourd’hui avec des moyens encore beaucoup plus puissants compte tenu de la multiplication désormais des constructions en béton armé ce qui nécessairement entraine des pertes civiles en proportion encore beaucoup plus importantes.
Ainsi à défaut d’utiliser les modes d’actions russes à Alep trop vite critiqués par les médias occidentaux, les américains n’auront guère le choix à Mossoul que de négocier en secret l’évacuation des combattants djihadistes.
Lors d'un combat urbain, il est important de défendre les points stratégiques d'une ville, voire de les détruire (destruction de pont pour ralentir l'avancée des véhicules, destruction de réserves de carburant ...). Il est important d'avancer bâtiment par bâtiment, car sortir dehors, c'est le risque de se faire abattre par des tireurs embusqués. Les chars ayant en général moins de mobilité, il faut employer des véhicules plus légers. L'utilisation de l’artillerie lourde lourde utilisant des munitions non-guidées est pratiquement impossible pour le soutien rapproché des troupes, au risque de faire feu sur ses propres unités (difficulté à suivre la progression des troupes dans une ville en ruine...), ce qui a conduit depuis les années 1990 à la mise en service de munitions intelligentes d'un haut degré de précision et d'explosifs ayant un rayon d'action limité comme le DIME emporté par la bombe GBU-39 d'une masse totale de 113 kg contenant 17 kg d'explosif possédant un grand pouvoir létal mais dont l’effet se dissipe au-delà de 10 mètres composé de deux éléments principaux, le vecteur (roquette ou missile à guidage GPS ou laser ) et l’explosif très puissant. Les bombes de ce type créent des dommages très importants sur la matière vivante et les tissus mous (derme, muscles et os, constitués essentiellement d’eau) dans un rayon inférieur à 10 mètres, et peu ou pas au-delà. Les blessures provoquées sont quasiment incurables et conduisent généralement à l’amputation. Effet connexe, la contamination de l’organisme par ces métaux lourds favorise l’apparition de cancer chez les survivants.
Compte tenu des caractéristiques suivantes des combats en zone urbaine :
- Ligne de défense anti-char: permettant de limiter l'avancée de véhicules lourds ou de transports de gros effectif. Cette ligne est importante pour éviter la perte par le sol de positions stratégiques
- Défense anti-aérienne : la surveillance de l'espace aérien permet de limiter la prise d'informations et la couverture des unités d'infanterie ennemies. Les hélicoptères, dangers certains pour les infanteries, compte parmi les véhicules aériens privilégiés car faciles à poser et aptes au surplace (pour la prise et la surveillance aérienne de positions).
- Tireurs embusqués: les tireurs isolés ont une double vocation. La prise d'informations (éclaireurs) et la couverture d'unités limitées en effectif (tirs de couverture, tirs-leurres, etc.). Rarement en équipe de plus de trois hommes, ces unités sont les unités les moins équipées mais aussi les plus difficiles à atteindre car officiant sur de longues distances. Des unités dangereuses souvent éliminées par bombardements et pilonnages.
- Mines: des armes défensives vicieuses et traîtresses. Les mines permettent de limiter l'avancée de l'infanterie adverse et, sous certaines conditions, peuvent contenir les véhicules légers. Les équipes de déminage étant rares en temps de bataille urbaine, ce sont de vrais points noirs pour les unités de chaque camp.
- Pièges: ces dispositifs incluent les pièges "classiques" (mines, pièges à loup, C4, etc.) et les dispositifs non-conventionnels (engins explosifs improvisés, molotov, dispositifs incendiaires, flash, leurres, etc.). Ces engins ont pour vocation de déstabiliser les formations ennemies et participent à la première phase de guerre psychologique (la deuxième étant la prise de prisonniers de guerre, le vol et la destruction de matériel ennemi, etc.)
Les armées occidentales ne peuvent qu’adopter la doctrine unique de siège et de prise d’une ville et prévoir la création de Bataillons d’Infanterie de Combat Urbain de 500 hommes environ pour chaque quartier de ville occupés par 50 combattants résolus.
Ces bataillons spécialement entrainés au combat en zone très urbanisée devraient disposer de :
.très importants moyens d’écoute pour localiser l’adversaire ainsi que de transmission, des plans des réseaux électriques, eaux usées, eaux potables, des plans d’immeuble du quartier, de moyens d’inondation des caves et sous-sols par l’eau ou par les gaz lourds de manière à retrouver la maitrise des sous-sols et y empêcher la circulation ennemie.
.de moyens du génie pour effectuer des forages, des démolitions, des déblaiements etc…des déminages, des poses de mines et d’explosifs
.d’hélicoptères, à la fois pour l’observation, la dépose de soldats sur les terrasses d’immeubles, la destruction des positions ennemies, protéger la progression au sol de l’infanterie amie
.de fantassins spécialistes de l’escalade et de la plongée dotés de mortiers, lance-flammes, lance-roquette, de grenades de tous types (explosive, incendiaire, gaz divers dont innervant et asphyxiant) ave équipement contre les gaz, les armes chimiques et bactériologique et disposant d’un nombre important d’armes automatiques pour le tir de précision, ainsi que de mitrailleuses légères.