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.FREDERIC II / FRIEDRICH II (1194-1250), empereur / kaiser de 1211 à 1250
Pendant que Louis VIII poursuit sa campagne en Languedoc, le légat du Pape peut librement prendre en main le gouvernement des terres qui forment le domaine de Raymond VII sur la rive gauche du Rhône. Sans doute, la cour de Rome agit ainsi en vertu des décrets du Concile de Latran ; mais, pour une fraction de l’opinion publique, un tel fait n’en constitue pas moins une violation flagrante de la souveraineté impériale.
Dès 1226, Frédéric sollicite du Pape la restitution des terres saisies par l’Église. Le pape Honorius, tout en reconnaissant formellement les droits de la couronne impériale, lui oppose des moyens dilatoires faisant valoir que le pays n’est pas pacifié, les hérétiques ne sont pas domptés de sorte le gouvernement de l’Église et des prélats parait nécessaire pour quelque temps encore ; plus tard, on rendra à l’Empereur une contrée paisible, où l’on aura sauvegardé scrupuleusement les droits de l’Empire.
Cependant, si mécontent qu’il soit de l’agression des Croisés, Frédéric ne peut sans hésitation se ranger du côté de Raymond VII et des victimes de la campagne de 1226. En effet, à cette époque, il est lui-même en lutte contre Marseille et manifeste ouvertement son alliance avec le comte de Provence Raymond Bérenger; or, l’ennemi du comte et l’allié des bourgeois de Marseille, est ce même Raymond VII contre lequel Louis VIII a dirigé son expédition.
En outre, un des principes sur lesquels repose la politique des Staufen est l’alliance avec la royauté française dont l’expédition de Louis VIII vient encore une fois d’attester la force : se déclarer ouvertement pour Raymond VII et les adversaires du jeune roi Louis IX n’est donc pas le moyen de consolider cette alliance.
Pour ces raisons et beaucoup d’autres, l’Empereur, à la fin de l’année 1226, se rapproche de Raymond Bérenger et n’insiste pas sur la protestation qu’il a élevée contre l’occupation du marquisat de Provence.
Ce pays est alors aux mains de l’Église. Le célèbre traité de 1229, qui met fin à la guerre des Albigeois et détermine la réunion du Languedoc à la France, reconnait cet état de fait, le comte de Toulouse y déclare : « Nous abandonnerons pour toujours au seigneur légat, représentant de l’Église, toute la terre d’Empire sur l’autre rive du Rhône, et tous les droits qui nous y appartiennent. »
Désormais, c’est en s’appuyant sur le double fondement du Concile de Latran et du traité de Paris, que les délégués du Saint-Siège exerceront leur pouvoir sur ces débris du royaume de Bourgogne-Provence.
Pour la garde du marquisat, le roi de France met ses agents à leur disposition, en se réservant toutefois la faculté de s’affranchir de cette obligation si elle lui devenait trop onéreuse. Frédéric ne proteste plus ; mais, en dépit des apparences, il ne s’est pas résigné à l’abandon définitif des droits de l’Empire sur le marquisat.
En attendant, il poursuit ses efforts pour pacifier le Midi. Quand Hugues Béroard, archevêque d’Arles après l’avoir accompagné en Italie en revient, il le charge de rétablir la paix, si profondément troublée par les différends du comte de Provence avec la commune de Marseille et son allié le comte de Toulouse.
A la diète de Worms de 1231, Frédéric II cherchant des appuis en Allemagne pour sa politique italienne, doit, par le Statutum in favorem principum, y accorder aux vassaux laïques les mêmes privilèges que les prélats avaient obtenus dès 1220. Les princes obtiennent par exemple le droit de frapper monnaie ou de mettre des douanes en place. Frédéric II reconnaît également aux princes le droit de légiférer.
Cette même année, le 14 juillet 1231, le podestat, Perceval Doria, et ses syndics obtiennent de Raymond Bérenger la mise en liberté provisoire du captif Hugues des Baux, à condition que ce prince s’engage à travailler à établir une trêve entre le comte de Toulouse et le comte de Provence. Le parti de Toulouse ne répond à ces avances que par un nouveau traité qui associe pour cinq ans la ville de Tarascon à la cause de Raymond VII : une ligue offensive et défensive est conclue contre tous les ennemis du comte de Toulouse dans les terres d’Empire, à l’exception de l’Église romaine, de l’Empereur, du roi de France et de la ville d’Arles, que les Tarasconnais ne veulent pas combattre.
Cependant, le comte de Toulouse, bien plus que l’Empereur, ne cesse de réclamer la possession du marquisat de Provence. Réconcilié depuis 1229 avec le roi de France, il peut s’appuyer vis-à-vis du Saint-Siège sur le crédit du roi Louis IX.
Au commencement de 1232, une démarche est faite auprès de Grégoire IX, cette fois par Blanche de Castille, pour convaincre le pape de restituer le marquisat à Raymond. Par un singulier effet des combinaisons politiques, tandis que l’Empereur, encore favorable au comte de Provence et peu sympathique au comte de Toulouse, semble oublier l’occupation des terres d’Empire, c’est le roi de France qui les revendique pour leur ancien maître. Le Pape ne se décide pas à donner satisfaction immédiate au comte de Toulouse ; il lui fait seulement savoir, ainsi qu’à saint Louis et à la régente, qu’il a chargé son légat, de prendre sur cette question l’avis des prélats de la région.
Battu sur le terrain de la diplomatie, le comte de Toulouse se prépare à en appeler à la force. Mais comme, au printemps de 1232, il se dispose à franchir le Rhône à Beaucaire, le légat du pape, accompagné des évêques de Nîmes, d’Uzès, d’Orange, d’Avignon, de Carpentras et de Marseille, se présente à lui pour lui interdire d’aller plus avant, sous peine d’excommunication. Raymond n’en tient aucun compte et occupe Tarascon au mépris de la paix qu’il a jurée. En vain, les prélats patientent pendant quarante jours : Raymond VII ne renonce pas à l’exécution de ses desseins ; aussi le 4 août 1232 est-il solennellement frappé d’une sentence d’excommunication. Malgré les efforts du Pape et de l’Empereur, la guerre recommence en Provence ; ni l’archevêque d’Arles au nom de l’Empereur, ni le légat au nom de l’Église, n’ont réussi à rétablir une paix durable. C’est le moment que choisit Frédéric II pour envoyer dans son royaume de Bourgogne-Provence un ambassadeur laïc, décision qui ne peut plaire à l’archevêque d’Arles qui, jusqu’alors, était chargé de représenter l’Empereur.
Le nouvel ambassadeur de l’empereur, italien d’origine, Caille de Gurzan, voit sa mission déterminée par des lettres impériales du 19 septembre 1232. La mort de l’archevêque d’Arles Hugues Béroard, survenue en novembre 1232, supprime les difficultés qui risquaient d’entraver sa mission.
Ce mois de novembre 1232, l’empereur s’adresse ainsi à tous les seigneurs ecclésiastiques et laïques du royaume de Bourgogne: « Depuis très longtemps vous n’avez accompli aucun service pour nous ni pour l’Empire. Sans doute nous n’avons pas le droit de vous en faire un reproche, car aucun service ne vous a été demandé. Toutefois, attendu que certaines circonstances se présentent, qui réclament à la fois votre conseil et votre secours, nous vous citons en vertu de notre autorité impériale, et vous enjoignons, sous les peines portées aux constitutions royales, de venir à nous au prochain mois de mai, avec une suite convenable d’hommes armés. A ce sujet, nous vous envoyons notre féal Caille de Gurzan, porteur des présentes, vous invitant et vous commandant étroitement, au nom de la fidélité que vous devez à nous et à l’Empire, de lui donner un concours dévoué et efficace en ce qui concerne le service dont vous êtes tenu envers nous ».
Ainsi, mettre fin aux guerres intestines et entraîner prélats et barons au service de l’Empereur, telles sont les instructions du nouvel ambassadeur. Du côté du comte de Provence et de la ville d’Arles, toute tentative de pacification est accueillie avec joie.
Dès le printemps de l’année 1233, Caille obtient un important résultat : par divers actes datés des mois de mars et d’avril, les principaux coalisés s’ engagent à s’en rapporter, sur les points litigieux, à la volonté de l’empereur ou de son légat, à obéir aux citations qui leur seraient adressées et à donner des sûretés pour l’exécution des obligations qu’ils assumaient ainsi envers l’empereur. Au mois de mars, les Marseillais font leur soumission, et les habitants de Tarascon ne tardent pas à reconnaître l’autorité de l’envoyé de l’Empereur. Et le 23 mars, les princes de Baux et Giraud Amic, le 29 mars, Guillaume de Sabran, comte de Forcalquier, le 24 avril, le comte Raymond VII de Toulouse font la promesse. L’issue de la légation de Caille est un succès pour la diplomatie impériale : pour quelque temps, l’Empereur a rétabli la paix en Provence ; sa suzeraineté est reconnue de tous. Un nouveau fait en donne bientôt une preuve éclatante. En effet quand, l’année suivante, est conclu le mariage de Marguerite, fille de Raymond Bérenger, avec le jeune roi Louis IX, le comte de Provence est obligé d’engager son château de Tarascon en sûreté du paiement de la dot de sa fille ; alors il promet au roi de France d’obtenir de Frédéric II des lettres patentes par lesquelles, en vertu de sa suzeraineté, l’empereur autorise cette mise en gage. Ainsi, sans l’intervention de l’empereur, l’acte n’eût pas été tenu pour valable.
Cependant, l’influence française, développée par la campagne de 1226 et le traité de 1229, ne tarde pas à se faire sentir. On apprend à la fin de l’année 1233, le mariage qui doit bientôt unir intimement la Provence au royaume de France. Aussitôt les belligérants du Midi ne s’inquiètent plus de la médiation de l’empereur, qu’ils s’étaient cependant engagés à solliciter aux fêtes de Pâques de l’année 1234. Dès le 13 février, c’est vers Blanche de Castille et Louis IX que se tourne le comte de Provence : il se soumet à leur arbitrage et accepte à l’avance leur décision. En mars, le comte de Toulouse fait la même déclaration ; d’un commun accord, l’arbitrage du roi de France est substitué au jugement souverain de l’empereur.
Il est difficile alors de dire de quel œil la Cour impériale envisage cette évolution, évidemment peu favorable au prestige de l’empire dans le midi de la France. Toutefois, Frédéric II, en bons termes avec le gouvernement royal, ne paraît pas avoir donné aucune marque extérieure de son mécontentement.
La mission de Caille de Gurzan ne se borne pas à rétablir la paix. Il a pour mission de convoquer à l’armée impériale les prélats et barons de Provence ; le terme indiqué par l’édit de l’Empereur est fixé au 1er mai 1233.