Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
5 août 2024 1 05 /08 /août /2024 14:41

 

« … le problème n’est pas de l’aimer  ou plutôt de le détester mais plutôt de comprendre pourquoi la voix de la Russie compte et porte beaucoup plus qu’il y a dix ans dans les relations internationales, de savoir qu’aucun des dossiers brûlants en cours ne pourra être traité en ignorant la Russie ou en l’ostracisant.

Garder cette posture avec la Russie est un piège. Si elle donne l’illusion d’agir à bon compte, elle conduit à la paralysie puis à l’éviction du jeu diplomatique. A terme, elle obligerait à céder la place aux autres, plus pragmatiques ou plus dépendants de l’ours russe. Hubert Védrine a livré sur ce point de franches le4ons de Realpolitik, trop souvent oubliées par la plupart de ses successeurs.

Il est vrai que Poutine ne fait pas grand-chose pour améliorer sa perception en Occident. Mais faut-il le répéter ? Il travaille en priorité pour ses concitoyens, dont la majorité se réjouit d’avoir retrouvé un chef, réputé dur mais juste, patriote et impérial.  Depuis 2000, les Russes plébiscitent la posture poutinienne, en contraste total avec l’image dégradée de la quasi-totalité des dirigeants russes depuis Staline, humiliante pour la Russie. Les sondages montrent que les Russes ont un mauvais souvenir des brochettes d’apparatchiks vieillissants et maladifs de la fin de l’Union Soviétique  ( Leonid Brejnev, Youri Andropov, Konstantin Tchernenko). Ils ne regrettent pas le dirigeant velléitaire et dépassé que fut Mikhaïl Gorbatchev pendant l’agonie de l’URSS à partir de 1985. Ils préfèrent  oublier le président malade, alcoolique et manipulé que fut  Boris Eltsine après la mort de l’URSS de 1991 à 2000. Humiliée par le repli russe depuis 1991, révoltée par le pillage des richesses du pays, obsédée par une irrépressible sensation d’encerclement ourdi par des puissances réputées hostiles, cette Russie profonde s’est reconnue dans l’ambitieux projet de restauration proposé par leur président.

Que veut Vladimir Poutine ? Où va-t-il ? Il a donné la réponse à ces questions à plusieurs reprises depuis 2000. Parfois ignorés ou mal traduits, souvent déformés, ses propos donne la clé de son action passée et à venir, et de son attitude à l’égard  de l’Occident et de l’Asie. Si elle est un trait évident de son caractère, sa brutalité est aussi le revers de l’urgence de la situation catastrophique dans laquelle la Russie se trouvait en l’an 2000 dont elle peine à sortir.

Le temps lui est compté. Il le sait et il le dit. Ce cynisme et ce mépris des droits de l’homme qui lui sont reprochés lui permettent d’aller à l’essentiel. Il veut foncer, ne pas se laisser retarder ou engluer par toutes les raisons, justifiées ou pas, qui poussent  tant de chefs d’Etat à ne plus bouger une fois au pouvoir, à ne plus rien entreprendre pour tenter de conserver les consensus apparents, pour ne pas risquer de créer de désordre momentané. Cet immobilisme politique est exactement ce qui est reproché aujourdhui à des dirigeants comme Barack Obama aux Etats Unis ou François Hollande en France. Par contraste, l’activisme déterminé de Poutine détonne et dérange. Il a conscience de ne pas respecter tous les standards internationaux sur les droits de l’homme. Il l’a déjà reconnu. Il plaide pour le respect des traditions culturelles de la société russe. Il rappelle la nécessité de sortir la Russie de l’ornière et de la rétablir comme une des puissances du XXIème siècle. C’est ce qu’il fait depuis quatorze ans, en acceptant de casser des pots. Pour les dix prochaines années, son ambition est de stabiliser la Russie et de livrer aux générations futures une société ordonnée, apaisée, capable de rejoindre les standards de vie occidentaux. L’heure de vérité des années Poutine sonnera en 2024.

Chez lui, comme sur la scène internationale, le maitre du Kremlin n’a rien d’un conservateur. C’est un révolutionnaire pressé. Il bouscule les structures et les hommes et n’hésite jamais à remettre en question l’ordre international, quand il croit qu’il en va de l’intérêt supérieur de la Russie. Tantôt souple tantôt brutal, rarement charmeur, souvent glaçant, il manœuvre en utilisant toute la gamme des moyens à sa disposition. Autour de lui, des gens de sa trempe l’aident et le conseillent, à commencer par son ministre des Affaires Etrangères, le séduisant Serguei Lavrov, sans doute le plus habile diplomate de sa génération. Le président russe n’hésite pas à recourir aux armes. On l’a vu en Tchétchénie et en Géorgie. Il connait aussi parfaitement les règles de manipulations et de la propagande- un héritage du KGB-. L’Ukraine et la Crimée ont prouvé les capacités russes dans ces domaines.

Vladimir Poutine n’est pas obtus. Il a même ouvert le jeu vers l’Ouest à plusieurs reprises-ce qu’on a tendance à oublier. Il a répété sa préoccupation dans de nombreux discours : il ne souhaite pas couper la Russie de l’Europe, car il sait que s’y trouve une partie des racines et des intérêts russes. Aux Européens précisément, il a proposé de bâtir une Europe de Lisbonne à Vladivostok

( rappelons l’Europe de Brest à Vladivostok du général de Gaulle), avec mise en place d’un programme de développement mutuel, avec un régime commercial préférentiel. Dans son analyse, cet ensemble aurait vocation à être un espace commun de développement pour des projets d’avenir, de la santé à la défense spatiale. Cette proposition n’a eu que peu d’écho. Prise dans une crise économique et identitaire qui n’en finit pas, l’Europe n’est pas encore prête à cette avancée stratégique. Son auteur n’a sans doute pas été jugé assez crédible. Aux yeux de beaucoup, Poutine reste porteur de trop de cynisme et d’intentions cachées.

Comme souvent, les Russes ont vu dans cette fin de non-recevoir la main américaine, comme le résume Serguei Glaziev, l’un des principaux conseillers économiques du Kremlin dans une interview télévisée du 24 juillet 2014 : « au lieu de la zone de développement de Lisbonne à Vladivostok qu’offre le président Poutine, les Etats Unis veulent déclencher une guerre chaotique dans toute l’Europe, déprécier le capital européen, effacer toutes les dettes qui écrasent les Etats Unis, effacer leurs dettes à l’égard de la Russie et de l’Europe, soumettre leur espace économique et prendre le contrôle des  ressources du gigantesque territoire eurasien ». Pour les stratèges russes, leur pays est victime de cette politique, rebaptisée « partenariat oriental » : « l’arme choisie contre elle est l’Ukraine, dont le peuple sert de chair à canon dans cette nouvelle guerre »……….

Extraits de "Poutine" de Frédéric Pons, journaliste géopolitique, grand reporter, rédacteur en chef à Valeurs Actuelles, professeur à Saint-Cyr, membre de l’Académie des Sciences d’outre-mer, président d’honneur des journalistes de défense.

livre publié chez Calmann-levy en octobre 2014.

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : empireromaineuropeen
  • : Parti supranational pour un empire romain europeen alternative à l'empire américain
  • Contact

Recherche

Liens