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26 août 2021 4 26 /08 /août /2021 12:14

 

Il suffit de lire le texte intégral de l’article rédigé par Vladimir Poutine au sujet de l’Ukraine dans lequel le Président russe y analyse l’histoire des deux peuples avant d’examiner la situation actuelle dans les relations entre Moscou et Kiev, pour comprendre que les projets d’adhésion de l’Ukraine à l’Union Européenne et à l’Otan constituent une ligne rouge pour lui.

« Évoquant récemment, au cours de la séance de questions-réponses, les relations russo-ukrainiennes, j’ai dit que les Russes et les Ukrainiens formaient un seul peuple, un tout. Ces paroles n’ont pas été prononcées dans le contexte d’une conjoncture ou de circonstances politiques actuelles. Je l'ai déclaré plus d'une fois et c'est ma conviction. Par conséquent, j’estime nécessaire d'exposer ma position et de faire part de mes évaluations de la situation actuelle.

Je veux le souligner tout de suite: le mur qui s’est dressé ces dernières années entre la Russie et l'Ukraine, entre les parties d'un espace historique et spirituel en fait commun, je le perçois comme un grand malheur commun, comme une tragédie. Ce sont avant tout les retombées de nos propres erreurs commises à différentes périodes. Mais aussi le résultat d’activités ciblées des forces qui ont toujours cherché à torpiller notre unité. La formule appliquée est connue depuis des siècles: diviser et dominer. Rien de nouveau. D'où les tentatives de manipuler la question nationale, de semer la discorde entre les populations. Avec, pour objectif supérieur, de diviser, puis faire s’entrechoquer les parties d'un seul peuple.

Pour mieux comprendre le présent et jeter un coup d’œil dans l'avenir, nous devons nous tourner vers l'histoire. Il est évident que, dans le cadre d’un seul article, il est impossible de couvrir tous les événements survenus en plus 1.000 ans. Je m’arrêterai tout de même sur des points clés dont nous devons – nous, en Russie et en Ukraine – nous souvenir.

Les Russes, les Ukrainiens et les Biélorusses sont les héritiers de l'ancienne Russie qui a été le plus grand pays d'Europe. Sur un immense espace – du lac Ladoga, Novgorod, Pskov jusqu’à Kiev et Tchernigov – les tribus slaves et autres étaient unies par la même langue (que nous appelons aujourd’hui le vieux russe), des liens économiques et le pouvoir des Princes des Riourikides. Et après le baptême de la Russie, unie par la foi orthodoxe. Le choix spirituel de saint Vladimir, qui était à la fois prince de Novgorod et grand prince de Kiev, détermine aujourd'hui encore dans une grande mesure notre parenté.

Le trône de Kiev bénéficiait d’une position dominante dans l'ancien État russe. C'était comme cela depuis la fin du IXe siècle. La Chronique des temps passés a conservé pour les générations futures les paroles du prince Oleg le prophète au sujet de Kiev: «Qu’elle soit mère aux villes russes».

Plus tard, comme les autres États européens de l'époque, l'ancienne Russie a été confrontée à l'affaiblissement du pouvoir central et à la fragmentation. Mais aussi bien la noblesse que les simples gens considéraient la Russie comme un espace commun, comme leur patrie.

Après l'invasion dévastatrice de Batu Khan, lorsque de nombreuses villes dont Kiev ont été réduites en ruines, le morcellement s'est intensifié. La Russie du nord-est est tombée dans la dépendance de la Horde tout en conservant une souveraineté limitée. Les terres du sud et de l’ouest de la Russie sont essentiellement entrées dans la composition du Grand-Duché de Lituanie, qui – je tiens à attirer l'attention sur ce fait – figurait dans les documents historiques comme le Grand-Duché de Lituanie et de Russie.

Les représentants des familles princières et de boyards passaient d'un prince à l'autre dans leur service, se querellaient entre eux, mais signaient également des alliances et étaient amis. Dans la plaine de Koulikovo, le grand prince Dimitri de Moscou a combattu aux côtés du voïvode Bobrok-Volynsky et des fils du grand-duc de Lituanie Olgierd, André de Polotsk et Dmitri de Briansk. Mais c’est le grand–duc de Lituanie Jagellon, fils d’une princesse de Tver, qui menait ses troupes pour les unir à celles du khan Mamaï. Ce sont là les pages de notre histoire commune, le reflet de sa complexité et de sa multidimensionnalité.

Il est important de rappeler que la population des terres russes occidentales et orientales parlait la même langue. La foi était orthodoxe et jusqu'au milieu du XVe siècle l’administration ecclésiastique était unique.

Lors d’un nouveau tour du développement historique, les points d'attraction et de consolidation des territoires de l'ancienne Russie pouvaient se situer tant dans les terres russes sous contrôle du grand-duché de Lituanie que dans la Grande-principauté de Moscou qui se renforçait. L'histoire a décidé que le centre de la réunification, qui a poursuivi la tradition de l'ancien État russe, serait Moscou. Les princes de Moscou – descendants du prince Alexandre Nevski – se sont libérés du joug extérieur et ont commencé à rassembler les terres russes historiques.

Le Grand-Duché de Lituanie vivait d'autres processus. Au XIVe siècle, l'élite dirigeante de la Lituanie s’est convertie au catholicisme. Au XVIe siècle, il a signé l'union de Lublin avec le royaume de Pologne pour former la République des Deux Nations (en fait polonaise et lituanienne). La noblesse catholique polonaise s’est vu accorder d'importants biens fonciers et privilèges en Russie. Aux termes de l'union de Brest de 1596, une partie du clergé orthodoxe russe occidental s’est soumise à l'autorité du pape. Les mœurs polonaises et romaines étaient imposées et l'orthodoxie était évincée.

En réaction, les XVIe et XVIIe siècles virent monter le mouvement de libération des orthodoxes du bassin du Dniepr. Les événements de l'époque de l'hetman Bogdan Khmelnitski ont représenté un tournant. Ses partisans ont tenté d'obtenir l'autonomie de la République des Deux Nations.

Dans sa demande au roi de la République des Deux Unions, en 1649, l’armée zaporogue évoquait le respect des droits de la population orthodoxe russe et demandait que «le voïvode de Kiev soit du peuple russe et de loi grecque afin de ne pas marcher sur les églises de Dieu». Mais la demande n’a pas été entendue.

Bogdan Khmelnitski a lancé des appels à Moscou qui ont été examinés par les Congrès de la terre russe [Zemski Sobor, ndlr]. Le 1er octobre 1653, cette structure représentative supérieure de l'État russe a décidé de soutenir les coreligionnaires et de les accepter sous leur protection. En janvier 1654, le traité de Pèreïaslav a confirmé cette décision. Par la suite, les ambassadeurs de Bogdan Khmelnitski et de Moscou se sont rendus dans des dizaines de villes, y compris Kiev, dont les habitants ont prêté serment au tsar russe. Rien de tel, d'ailleurs, ne s’était produit lors de la signature de l'union de Lublin.

Dans une lettre adressée à Moscou en 1654, Bogdan Khmelnitski a remercié le tsar Alexeï Mikhaïlovitch pour avoir «accepté toute l'armée zaporogue et le monde orthodoxe russe sous sa main royale, forte et haute». C'est-à-dire que dans leurs messages au roi polonais et au tsar russe, les Zaporogues se qualifiaient d’orthodoxes russes.

Au cours de la longue guerre de l'État russe avec la République des Deux Unions, certains hetmans, héritiers de Bogdan Khmelnitski, se sont éloignés de Moscou, cherchant le soutien de la Suède, de la Pologne et de la Turquie. Mais, je le répète, pour le peuple, cette guerre était, en fait, libératrice. Elle se termina par le traité d'Androussovo en 1667. Les résultats définitifs furent fixés dans le traité de Paix éternelle de 1686 en vertu duquel la Russie obtint la ville de Kiev et les territoires de la rive gauche du Dniepr (dont Kiev), y compris les régions zaporogue, de Poltava et de Tchernigov. Leurs habitants se sont réunis avec la partie principale du peuple orthodoxe russe et la région reçut le nom de Petite Russie.

L’appellation Ukraine était alors plus souvent utilisée dans le sens où l'ancien mot russe «okraïna» [périphérie, ndlr] se retrouve dans les sources écrites depuis le XIIe siècle, lorsqu’il était question de territoires situés à la frontière du pays. Tandis que le mot «ukrainien», à en juger d’après les documents d'archives, désignait à l'origine ceux dont le service était d’assurer la protection des frontières extérieures.

La rive droite du Dniepr, restée dans la République des Deux Nations, vit les anciens ordres restaurés et l'oppression sociale et religieuse se renforcer. La rive gauche, ces terres placées sous la protection d'un État uni, connut au contraire un développement intense. Les habitants de l’autre rive du Dniepr venaient d’ailleurs s’y installer en masse. Ils cherchaient le soutien de ceux qui parlaient la même langue et avaient la même foi.

Lors de la grande guerre du Nord contre la Suède, les habitants de la Petite Russie ne se posaient pas la question du parti à prendre. Seule une petite partie des cosaques soutint la révolte de Mazepa. Les représentants de différentes classes se considéraient comme russes et orthodoxes.

Les représentants des chefs cosaques, inclus dans la classe noble, atteignaient en Russie des sommets de carrière politique, diplomatique et militaire. Les diplômés de l’Académie Mohyla de Kiev ont joué un rôle majeur dans la vie de l'Église. C'était le cas à l'époque de l'hetmanat – qui était de fait une entité autonome avec sa propre structure interne – ce fut le cas dans l'Empire russe. Ce sont les habitants de la Petite Russie qui ont créé à bien des égards un grand pays commun, sa structure, sa culture et sa science. Ils participaient à la mise en valeur et au développement de l'Oural, de la Sibérie, du Caucase et de l'Extrême-Orient. D’ailleurs, à l’époque soviétique également, les originaires d'Ukraine occupaient les postes les plus importants, y compris supérieur, au sein de la direction d'un État uni. Il suffit de rappeler que, pendant presque 30 ans, le Parti communiste de l’Union soviétique a été dirigé par Nikita Khrouchtchev et Léonid Brejnev, dont la vie de parti était étroitement liée à l'Ukraine.

Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, après les guerres contre l'Empire ottoman, la Russie rattacha la Crimée et les terres le long de la mer Noire, appelées Nouvelle Russie. Elles étaient peuplées par des personnes venues de toutes les régions russes. Après le partage de la République des Deux Nations, l'Empire russe se restitua les anciens territoires russes occidentaux, à l'exception de la Galicie et la Transcarpatie qui se sont retrouvées dans l'Empire d’Autriche puis dans l'Empire d’Autriche-Hongrie.

L'intégration des terres de la Russie occidentale dans l'espace commun n'était pas seulement le résultat de décisions politiques et diplomatiques. Elle se déroula sur la base d'une religion et de traditions culturelles communes. Et – je le soulignerai encore une fois – de la proximité linguistique. Au début du XVIIe siècle, l'un des hiérarques de l’Église uniate, Josef Rutski, annonçait à Rome que les habitants de la Moscovie qualifiaient de frères les Russes de la République des Deux Nations, que leur langue écrite était absolument la même et que la langue parlée, même si elle était différente, ne l’était que légèrement. Selon son expression, comme chez les habitants de Rome et de Bergame. C'est, comme nous le savons, le centre et le nord de l'Italie moderne.

Il est évident que pendant les nombreux siècles de fragmentation et de vie dans des États différents, les langues ont connu des particularités régionales, les parlers. La langue littéraire s'enrichissait grâce à la langue populaire. Un grand rôle y revient à Ivan Kotliarevsky, Grigori Skovoroda, Taras Chevtchenko. Leurs œuvres constituent notre patrimoine littéraire et culturel commun. Les poèmes de Taras Chevtchenko sont écrits principalement en ukrainien et sa prose essentiellement en russe. Les livres de Nikolaï Gogol, patriote de Russie, originaire de Poltava, sont écrits en russe et regorgent d'expressions populaires et motifs folkloriques russes. Comment partager cet héritage entre la Russie et l'Ukraine? Et à quoi bon?

Les terres du sud-ouest de l'Empire russe, la Petite Russie et la Nouvelle Russie, la Crimée se sont développées comme des régions multiformes de par leur composition ethnique et religieuse. Il y avait les Tatars de Crimée, les Arméniens, les Grecs, les Juifs, les Karaïtes, les Krymtchaks, les Bulgares, les Polonais, les Serbes, les Allemands et d'autres peuples. Ils gardaient tous leur religion, leurs traditions et leurs us et coutumes.

Je n’ai pas l’intention d’idéaliser quoi que ce soit. Il y eut la Circulaire de Valouïev de 1863 et l'oukase d’Ems de 1872, qui limitaient l'édition et l'importation de la littérature religieuse et sociopolitique en ukrainien. Mais le contexte historique est très important. Ces décisions furent prises sur fond d’événements dramatiques en Pologne, du désir des dirigeants du mouvement national polonais d'utiliser la «question ukrainienne» dans leur intérêt. J'ajouterai que les œuvres littéraires, les recueils de poèmes ukrainiens et de chansons folkloriques ont continué à être édités. Des faits objectifs prouvent que l'Empire russe voyait se développer un processus actif d’épanouissement de l'identité culturelle de la Petite Russie dans le cadre de la grande nation russe qui réunissait la Grande Russie, la Petite Russie et la Russie blanche.

Parallèlement, des idées sur un peuple ukrainien séparé du peuple russe émergeaient et se renforçaient au sein de l'élite polonaise et d’une partie de l'intelligentsia de la Petite Russie. Et comme il n'y avait et il ne pouvait y avoir de base historique pour ce phénomène, les conclusions se basaient sur toute sorte d’inventions. Allant jusqu’à affirmer que les Ukrainiens ne sont pas du tout Slaves, ou, au contraire, que les Ukrainiens sont les vrais Slaves et les «Moscovites» non. De telles «hypothèses» ont commencé à servir de plus en plus souvent des fins politiques en qualité d’outil de rivalité entre les pays européens.

Depuis la fin du XIXe siècle, les autorités austro-hongroises ont repris le sujet – en contrepoids tant au mouvement national polonais qu’aux sentiments russophiles en Galicie. Pendant la Première Guerre mondiale, Vienne a contribué à la formation de ce qu’on appelle la légion ukrainienne des tirailleurs de la Sitch. Les habitants de la Galicie qui étaient soupçonnés de sympathie envers la religion orthodoxe et la Russie devenaient la cible d’une répression brutale et étaient jetés dans les camps de concentration de Thalerhof et Terezin.

Le développement ultérieur connut l'effondrement des empires européens, une guerre civile acharnée sur le vaste espace de l'ancien Empire russe et l'intervention étrangère.

Après la révolution de Février, en mars 1917, Kiev assista à la mise en place de la Rada centrale revendiquant le rôle de structure du pouvoir suprême. En novembre 1917, dans son Troisième Universal, elle proclama la création de la République nationale ukrainienne (UNR) au sein de la Russie.

En décembre 1917, les représentants de cette République arrivèrent à Brest-Litovsk où se déroulaient des négociations de la Russie soviétique avec l'Allemagne et ses alliés. À la réunion du 10 janvier 1918, le chef de la délégation ukrainienne donna lecture à une note sur l'indépendance de l'Ukraine. Dans son Quatrième Universal, la Rada centrale proclama l’indépendance de l’Ukraine.

Cette souveraineté fut de courte durée. Quelques semaines plus tard, la délégation de la Rada signa un traité séparé avec les pays du bloc allemand. S’étant retrouvées dans une situation difficile, l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie avaient besoin des céréales et des matières premières ukrainiennes. Pour assurer des livraisons à grande échelle, elles obtinrent l’accord pour dépêcher leurs troupes et leur personnel technique dans l’UNR. En fait, ce ne fut qu’un prétexte pour l'occupation.

Ceux qui aujourd'hui ont livré l'Ukraine sous contrôle extérieur complet devraient se rappeler qu’en 1918 cette décision s'avéra fatale pour le régime au pouvoir à Kiev. C’est avec la participation directe des troupes d'occupation que la Rada centrale fut renversée au profit de l’hetman Pavlo Skoropadsky qui proclama à la place de l’UNR l’État ukrainien placé en fait sous protectorat allemand.

À l'automne 1918, les nationalistes ukrainiens proclamèrent la République populaire d'Ukraine occidentale et, en janvier 1919, annoncèrent leur union avec la République nationale ukrainienne. En juillet 1919, les unités ukrainiennes furent battues par les troupes polonaises et le territoire de l'ancienne République populaire d'Ukraine occidentale se retrouva sous la domination de la Pologne.

En avril 1920, Simon Petlioura (l'un des «héros» imposés à l'Ukraine moderne) signa, au nom du Directorat de l'UNR, des conventions secrètes selon lesquelles, en échange d'un soutien militaire, il céda à la Pologne les terres de Galicie et de Volhynie occidentale. En mai 1920, ses hommes entrèrent à Kiev dans le convoi des unités polonaises. Mais pas pour longtemps. Dès novembre 1920, après l'armistice entre la Pologne et la Russie soviétique, les restes des troupes de Petlioura se rendirent à ces mêmes Polonais.

L'exemple de l'UNR montre l’instabilité de toute sorte de formations quasi-étatiques apparues sur l'espace de l'ancien Empire russe pendant la guerre civile et les troubles. Les nationalistes cherchaient à créer leurs propres États, les leaders du Mouvement blanc plaidaient pour une Russie indivisible. De nombreuses républiques créées par les partisans des bolcheviks ne se voyaient pas en dehors de la Russie. Cependant, pour diverses raisons, les chefs du parti bolchevique les poussaient parfois de force en dehors de la Russie soviétique.

Suite

 

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