Extrait d'articles de Claude Piron (2008)
L'Union Européenne continue à soutenir avec un sérieux imperturbable que chaque petit européen doit posséder deux langues étrangères européennes en plus de sa langue maternelle,
Toute hypocrisie mise à part, on voit bien, sans être doué d'une très grande perspicacité, que ce fameux Trilinguisme généralisé va rapidement se transformer en bilinguisme avec renforcement de l'inégalité entre les peuples européens. Il va ouvrir, en effet, un énorme boulevard à la langue nationale la plus répandue à ce jour en Europe comme dans le monde, qui sera automatiquement choisie par les parents et les élèves pour des raisons purement utilitaristes : à savoir la langue anglaise ou plus exactement l'anglo-américain.
Cette fameuse "diversité linguistique et culturelle" tant vantée par les hautes instances européennes n'est, en fait, qu'un leurre et n'est même pas imposée aux fonctionnaires de l'Union-
Pourtant. la langue anglaise, et toutes ses dérives bien réelles, est-elle la panacée ? Tous les gens sérieux ne peuvent que répondre non à une telle question.
Cette langue d'apparence simple et facile est, certes, la plus répandue mais au prix d'une évolution incontrôlable et d'innombrables distorsions lexicales, sémantiques ou grammaticales qui rendent son interprétation la plupart du temps aventureuse et incertaine selon le lieu ou l'origine des interlocuteurs. Elle possède, en simplifiant, trois énormes défauts de base qui rendent sa maîtrise si difficile aux non-anglophones. D'abord un vocabulaire trop vaste, résultat de l'apport de racines franco-latines (invasion normande de 1066) qui s'est ajouté sans s'y substituer aux racines germaniques d'origine. Ensuite une phonétique incohérente et déconnectée de l'écriture. Enfin une polysémie systémique (mots ou groupe de mots aux multiples sens) que sa diffusion mondiale ne peut qu'amplifier.
Alors, pourquoi un tel renoncement devant une fatalité qui leur semble irrémédiable alors que l'Histoire est là pour nous montrer que rien n'est jamais irrémédiable dans la vie des nations !
Pour qui prend un peu de recul, il paraît évident que la prédominance actuelle de l'anglo-américain n'est que conjoncturelle, que son influence s'est progressivement développée au cours du 20ème siècle dans le sillage de la montée en puissance de l'économie américaine (qui avait pris le relais de la puissance anglaise) jusqu'à en faire la super-puissance planétaire dominatrice dans tous les domaines (et notamment le culturel ramené au niveau d'un "business") et qui, il y a encore peu, semblait devoir dominer ad vitam aeternam ce bas monde .