Depuis l’arrivée de l’Allemande Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, le monolinguisme est de mise. Sous la Commission précédente, dirigée par le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, un certain équilibre s’était fait. Aujourd’hui, le balancier est reparti en arrière. La très grande majorité des documents soumis à la Commission européenne ne le sont qu’en anglais. Ce que reflète la communication de l’exécutif européen, en contravention avec toutes les règles et usages européens qui veulent qu’au minimum trois langues de travail (français, anglais, allemand) soient utilisées.
Paris – Bruxelles, le 23 septembre 2020
Madame Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne
Copie : Charles Michel, président du Conseil européen
Clément Beaune, Secrétaire d’État chargé des Affaires européennes
Madame la présidente,
Nous tenons à vous adresser nos plus vives remarques concernant la présentation ce mercredi du pacte pour les migrations et l’asile. Les documents (communiqué, mémo, communication, propositions législatives) n’ont été présentés à la presse – et au public – que dans une seule langue (en anglais). Aucune version dans une autre langue de travail (français ou allemand) n’était disponible, plus de deux heures après la communication officielle. En fin de journée, seul le communiqué de presse de deux pages était disponible en français. Ce qui est hors de proportion avec les contraintes de rapidité du métier de journaliste.
Cela nous semble d’autant plus inacceptable qu’il ne s’agit pas d’un cas isolé, mais d’une pratique répétée, quasi systématique désormais, en particulier depuis votre arrivée à la tête de la Commission européenne. Nous le regrettons. Faut-il rappeler que l’usage de plusieurs langues est non seulement une obligation juridique des Traités, mais a aussi une portée politique et pratique précieuse.
Tout d’abord, le traité de l’UE a fixé comme règle une communication officielle dans toutes les langues parlées en Europe. Et la pratique a consacré l’usage simultané et égalitaire de trois langues de travail. Ces traductions ne sont pas une faculté pour les institutions européennes, mais une obligation. Obligation qui, si elle venait à ne pas être respectée, se traduirait par l’annulation des décisions prises. La jurisprudence de la Cour en matière de recrutement en témoigne.
Ensuite, les institutions européennes ne peuvent valablement continuer à vouloir lutter contre la désinformation si elles s’obstinent, de façon persistante, à ne communiquer que dans une seule langue. Le premier rôle d’un politique c’est de donner une meilleure information au public. Et comment le faire sans passer par le filtre linguistique ? Faut-il rappeler que des pays comme la Russie, la Chine ou les États-Unis mettent régulièrement la plupart de leurs décisions à disposition dans d’autres langues que leur langue officielle, notamment en français, en espagnol ou en allemand. Se priver de cet outil revient, de fait, pour l’UE à donner une prime à la désinformation.
Au passage, précisons en privilégiant une seule langue, vous donnez un avantage compétitif notable à la presse anglophone qui n’a pas besoin de traduire et peut reprendre des extraits d’un simple couper-coller. La presse francophone, et les autres, sont tenus de traduire, voire d’interpréter tous les propos ainsi que les termes techniques. Il y a là une nette distorsion de concurrence, contraire aux traités européens.
Enfin, comment vouloir « rebâtir la confiance » avec les citoyens, objectif fixé par vous-même, sans s’exprimer (a minima) dans les trois langues de travail. Ce qui permet à chacun d’avoir une langue de proximité.
En souhaitant que des inflexions décisives soient données rapidement pour retrouver un minimum d’équilibre linguistiques, nous vous prions, madame la Présidente, d’accepter l’expression de nos plus sincères salutations. Nous restons bien entendu à votre disposition pour évoquer cette question de façon plus détaillée.
Pour le Bureau de l’AJE France